Le 7 mars 2023
La plus grosse journée de manifestations contre le pouvoir dans toute l’histoire de France ?
[08/03/2023]
Je lis un peu partout que la journée de manifestation du 7 mars était la plus grosse "depuis 1995". Mais regardons les données disponibles : en réalité, il s’agit probablement de la plus grande journée de mobilisation contre le pouvoir de toute l'histoire de France.
Par Alessio Motta
Les manifestations de ces dernières semaines n’ont pas battu tous les records dans les grandes villes. Elles ont été surprenantes dans les petites et moyennes villes. La mobilisation contre la réforme des retraites du gouvernement Borne a gagné tout le pays, comme permettent de le deviner des sondages montrant que la quasi-totalité des catégories sociales y sont opposées. Mais combien y avait-il de manifestants ?
Depuis des décennies, les syndicats se sont progressivement enfermés dans des chiffrages loin des réalités. Il est extrêmement difficile de sortir de cet enfermement, car repartir sur des chiffres réalistes pourrait être perçu par beaucoup d’observateurs comme une forme d'affaiblissement. Depuis longtemps dans l’incertitude, j’ai moi-même pu vérifier que les chiffrages policiers étaient assez proches de la réalité en concevant avec Mobilisations.org la première approche réellement transparente du comptage des manifestants, que nous avons mise en œuvre sur Nantes le 8 février et le 7 mars avec le soutien de Ouest France. Nous obtenons à chaque fois des chiffres très proches de ceux de la préfecture.
Il semble que le comptage des manifestants soit donc une des activités que la police réalise le mieux ^^. Il est dommage que les centrales syndicales passent à côté de la précision de ce travail, car elles se privent aujourd'hui d’une information fondamentale : la journée de mobilisation d’hier n’était pas "une des plus grosses". Elle était vraisemblablement, de toute l'histoire de France, LA plus grosse journée de contestation contre le pouvoir.
Malgré l’image que nous avons des révolutions et grands mouvements du passé, jusqu’au 20e siècle, les densités de population, moyens de communication et circulation ne permettaient pas aux manifestations d’atteindre les sommets actuels. Les témoignages que nous avons des grands mouvements et les traces qui en restent sur des peintures, photographies ou sur les vidéos de l’INA de 1936 montrent des densités et volumes manifestement inférieurs à ce que l’on observe dans les grands mouvements actuels.
Reste à comparer les cumuls nationaux des chiffres fournis par le ministère de l’intérieur depuis la Seconde Guerre Mondiale qui, sans être parfaits, sont certainement ce que nous avons de plus précis : on observe des pics en 1968 et 1984, ou encore en 1995, 2003, 2006 et 2010. Mais si l’on enlève les rassemblements qui ne s’opposent pas au pouvoir (victoire à la coupe du monde, marches suite à des attentats, passage au second tour de Jean-Marie Le Pen en 2002), les pics du 31 janvier (1 272 000 manifestants) et du 7 mars (1 280 000) semblent bien les plus élevés.